« Il était une fois, dans une petite ville d'Écosse nommée Roseneath, vivait une famille heureuse et épanouie. » Ô combien de personnes auraient souhaité introduire le récit de leur vie de cette si charmante manière. La vie n'est pas un conte de fée, ce n'est donc pas ainsi que je débuterais l'histoire de Rosamund. Nous savons tous en grandissant que dans le monde réel qui est le nôtre, il n'y a ni princes charmants, ni princesses en détresses, encore moins de bonnes fées pour nous extirper de nos difficultés d'un coup de baguette magique. Nous savons tous, qu'il n'y a pas toujours de fins heureuses. »

Rosamund est née un soir d'automne, le 4 octobre plus précisément. Je n'ai jamais compris pourquoi chaque histoire devait commencer par le jour d'une naissance, comme si la vie pouvait être créer aussi soudainement qu'une imprévisible contraction venant perturber la léthargie d'une soirée ordinaire. Beaucoup ont oublié que des mois doivent avoir précédé cette mise au monde, que chaque personne est le fruit d'un acte d'amour, ou d'un acte de désir assouvis pour les plus malchanceux. On oublis aussi que des années se sont écoulées pour aboutir à ce point fixe. C'est ainsi que je me dois, en tant que narratrice fidèle, de présenter les personnalités parentales de Rosamund. Son père se nommait James Hemingway, qui par ailleurs, n'a aucun lien de parenté avec le célèbre écrivain américain, comme il se plaisait à le préciser à chaque nouvelle rencontre. Il était postier, un métier peu passionnant en soit, mais c'est néanmoins ce qui le plaça sur le chemin de sa future femme, Iphigénie Leigh. Cette dernière était la fille d'un promoteur, qui était pour le moins responsable des nouveaux aménagements du centre-ville et qui avait pour projet de construire de nouvelles bâtisses dans les champs de Roseneath. Sa mère était morte d'un cancer lorsqu'elle était plus jeune, c'est ainsi qu'elle passait énormément de temps seule, dans sa chambre, à rêver. Elle avait un don pour le dessin et Iphigénie avait pour vocation les cartes de vœux. Elle s'appliquait toujours énormément sur les phrases qui ornaient chacune de ses petites cartes, recherchant le mérite de donner un certain réconfort, un sourire, au destinataire de son art. Le jour de leur rencontre fut ordinaire. Aucun n'avait la sensation qu'un événement spécial allait se produire dans la matinée, c'est ainsi que comme à toutes personnes destinées aux flèches d'Éros, ils furent incroyablement surpris, frappés en plein cœur . Il était malade et affaiblit par une grippe qui ne le quittait pas. Cela ne l'empêchait pas de distribuer son courrier, sous la pluie battante qui lui frappait l'échine. Lorsqu'il vint toquer à la porte de chêne de la demoiselle, et qu'il la découvrit si resplendissante … Il s'est toujours souvenu de cette robe jaune claire qu'elle portait, un véritable rayon de soleil. Elle l'avait invité à boire un thé, le temps d'une pause avant de reprendre sa course, mais il s'avéra qu'il passa le reste de la journée et le début de soirée chez elle. Ils ne discutèrent pas, ils n'échangèrent pour ainsi dire que peu de mots puisque le jeune rouquin s'était endormis dans la chambre d'amis qu'elle lui avait proposé pour prendre du repos. Elle avait veillé sur son sommeil après avoir prévenu le travail du jeune homme et lorsqu'il se réveilla, une carte de rétablissement ornait sa table de nuit. Suite à cela, ils se sont revus, se sont plût, et ne se sont jamais plus quittés. De cet amour est né Blair, le frère aîné de Rosamund. Un garçon turbulent, mais adorable, qui devint à sa majorité l'avocat de la famille. Puis, cinq ans après, Rosamund fit son apparition.

Personne ne s'est donc jamais demandé pourquoi les enfants criaient à leur naissance ? J'en ai mon opinion personnelle, mais c'est à vous cher lecteur, de me détrompez s'il vous semble que je fasse fausse route. Le bébé pleure car il sait, sans savoir. Il a conscience de la brutalité, de la froideur, de la plaie ouverte qu'est notre monde. L'air est vif, polaire. En hurlant, l'enfant cri son envie de retourner dans le ventre chaleureux de sa mère, là où hors d'atteinte des cruautés de cette réalité, il se sent réconforté, aimé, balloté par les eaux maternelle. Rosamund elle, fut une enfant si silencieuse à sa naissance. Tant que les médecins crurent avoir accouché un mort-né. Il fallut la fesser pour lui arracher un son, un cri de douleur qui ravit l'équipe médicale. Comme on dit, le malheur de certain fait le bonheur des autres.

Rosamund est donc la cadette de la famille Hemingway. Si autrefois, chaque membre de ce corps chaleureux étaient liés les uns aux autres à un point tel qu'ils dépendaient d'eux-mêmes, le moins que l'on puisse dire c'est que le temps les avait disloqué. De nombreux facteurs sont entrés en jeu pour cela, des secrets qui ne doivent en aucun cas être prononcés. Rosamund a assisté à la dépravation de la relation de ses parents. Tandis que son frère Blair, sortait avec ses amis, la petite fille rousse demeurait à la maison, ses grands yeux bleus dardés sur les visages furieux de ses géniteurs. Souvent, elle se demandait de qui de son père ou de sa mère avait raison quant à leur continuel conflit. Elle lui reprochait de boire trop, lui, d'être trop frigide. À cinq ans, la fillette n'avait pas la moindre idée de notion d'alcool ou de comportement. Si bien que rapidement, elle se dit que de l'un ou de l'autre, celui qui avait raison, c'est celui qui observait la scène. Autrement dit, elle.

Pour se défaire de ce nœud de tension, Rosamund rendait régulièrement visite à sa meilleure amie, Ronnie. Les deux fillettes s'échappaient dans les bois de Roseneath, un site qui devint rapidement leur terrain de jeu favoris. Puis, sans qu'il n'y est de réelle préméditation, le groupe s'agrandit. Lorsque la mère de Rosamund demandait à Virgile de sortir avec elle à l'extérieur, il n'était pas rare que la fillette comprenne qu'une rixe verbale était sur le point d'exploser, c'est ainsi qu'elle lui confia le secret des virées dans les bois. Puis peu à peu, s'ajouta Kenneth qui était le cousin de Ronnie, Zadig et enfin Clive. Jusqu'au jour où ils ne se quittèrent plus. Lors d'un après-midi, Ronnie fit remarquer qu'une cabane serait plus commode pour leur retrouvailles quotidiennes. L'idée enthousiasma les garçons et tandis que Rosamund et Ronnie apportait les fish&chips, eux, construisaient ce qui devint leur repère. Rosamund, lorsqu'elle se retrouvait là haut, se sentait comme dans un havre de paix. Comme si rien ne pouvait désormais plus l'atteindre, un paradis artificiel de bois, mais un paradis tout de même.

Les personnes changent en grandissant. Les histoires se lient durant un temps, puis se séparent en deux chemins bien distincts qui ne se recroiseront peut-être jamais. C'est une notion que je n'ai jamais vraiment compris, c'est ainsi que cela m'écorche les lèvres de vous dire que Rosamund n'a pas été une exception. En premier lieu, la transition de l'enfance à l'adolescence. À ce stade ci, les changements sont grands, voire même disproportionnés, mais si communs que l'on ne s'en étonne pas. Le physique se modifie, se façonne. À son instar, le caractère aussi. Rosamund perdit les rondeurs ingrates de son enfance, abordant par la suite une silhouette moyenne mais tout à fait désirable. Elle n'a jamais eu de formes très généreuses, mais ce n'est pas un terrible regret. De plus, l'adolescente était reconnaissable à cent mètres, dans une foule d'écossais, en pleine nuit. Sa chevelure rousse flamboyante s'en assurait, comme un tableau lumineux au-dessus de sa tête indiquant sa présence dans une pièce. Quant à son tempérament, elle abandonna ses réserves et s'ouvrit davantage au monde. Son esprit particulièrement enclin à la philosophie et à la créativité, ce qui n'échappa à ses professeurs, s'aiguisait. Elle évoluait cependant comme enfermée dans une bulle. Jusqu'au jour où celle-ci éclata.

C'était halloween 1997. Rosamund se souviendra éternellement de cette date, elle sera hantée jusqu'à son dernier soupir. Rien ne lui avait échappé ce soir-là. Comme chaque année, elle s'était rendue chez Ronnie pour se vêtir de son déguisement, cette fois-ci, la jeune fille avait choisi Bloody Mary. Accompagnées des autres membres de la bande, elles étaient allées faire la tournée des friandises, ce qui à Roseneath est une tradition dont aucun habitant ne s'est jamais défait. Elle était ensuite revenue chez elle, son seau presque remplis jusqu'au bord, ce dont elle exprimait d'ailleurs une certaine fierté. Du bout du doigt, elle avait poussé le portillon, ce dernier grinçant horriblement comme d'habitude, puis avait traversé l'allée de dalles du jardin jusqu'au seuil de sa porte. À peine eut-elle posé la main sur la poignée de fer forgé qu'un pressentiment s'immisçait en elle. Elle était rentrée et en refermant derrière elle, elle s'était aperçue du silence lourd et mystérieux qui pesait sur la demeure Hemingway. Posant son tribut dans un coin du hall, elle était montée à l'étage, peu surprise par l'absence de Blair, mais l'étant tout de même par celle de sa mère. Ses parents étaient-ils sortis dîner ? Elle allait se rendre dans sa chambre, lorsqu'elle avait remarqué que la porte du bureau de son père était entrouverte. Lorsqu'il était absent, il fermait toujours son office à clé, se justifiant en disant que c'était un endroit intime et qu'il n'y désirait personne. L'adolescente était donc revenue sur ses pas, curieuse. La pièce était entièrement retournée. Les étagères glissaient contre le mur, les livres étaient rependus sur le parquet, des feuilles virevoltaient partout. Rosamund avait émis un temps d'arrêt, avant d'apercevoir une bouteille d'alcool sur le bureau. Son père avait dû avoir une crise, rien d'autre. Elle allait se retirer, lorsqu'une nouvelle fois, elle s'était figée ; les rideaux étaient bercés par la bise nocturne. La fenêtre était ouverte. Elle s'était empressée de refermer celle-ci, lorsqu'en contre-bas, elle perçut quelque chose d'anormal. Il faisait si sombre cette nuit-là qu'elle due plisser les yeux pour aviser les contours de l'objet qui faisait tâche dans le jardin si bien entretenu de son père. La nature de « la chose » lui sauta au visage, la faisant brutalement reculer. Ce qu'il y avait, c'était le corps ensanglanté de son géniteur, empalé sur les piques de la haie qu'il avait installé la semaine dernière. Ses yeux étaient restés braquer vers le cadavre. Dans le voisinage, les voisins n'avaient même pas sursauté lorsque le cri déchirant de la rouquine avait percé l'atmosphère paisible de Roseneath. Après tout, c'était la nuit d'halloween.

Quand un être souffre, les psychiatres disent qu'il faut du temps pour tourner la page, pour accepter la douleur et s'apaiser ensuite. Pour ma part, je pense qu'un être qui souffre ne s’encombre pas des chapitres douloureux de sa vie, il en déchire les pages en milles morceaux et brûle ce qui en reste. Si certains patients s'accordent à cette première théorie, Rosamund elle, se range dans la seconde. Elle n'ait jamais parvenus à accepter le suicide de son père. On dit que le deuil se constitue de sept étapes : le choc produit par l'horrible réalité. Le déni d'une perte aussi soudaine, aussi brutale. La colère et ses interrogations irrationnelles telle que « pourquoi lui et pas elle ? ». La tristesse qui annihile tout espoir d'avenir sans cette personne. L'acceptation d'une page qui se tourne. La reconstruction d'une vie meilleure. Rosamund n'est jamais parvenu à terme de son deuil. Au cours de celui-ci, elle a mélangé chacune des étapes, en inversant l'ordre ou les faisant fusionner, ce qui produisait d'immenses scènes de colères, ou d'affreuses crises de larmes. Jusqu'au jour où elle perdit entièrement son chemin.

Le 26 mars 1998, la famille Hemingway, ou du moins ce qui en reste, quitte Roseneath pour Edimbourg. Lorsque sa mère avait exprimé le besoin d'un changement, elle n'avait pas lésiné sur ses mots. Se retrouver à tel point exilé de ses amis renforça davantage encore la solitude de Rosamund qui en oublia son caractère primaire : sa générosité, son altruisme, son enthousiasme, son optimisme … réduits en fumée. Il ne restait plus qu'une coquille dont l'essence même avait été sucée par la Fatalité. Son manque d’interaction l'effraya elle-même. Il ne passait pas un jour où en se réveillant le matin, elle ne se détesta un peu plus. Elle appris au monde à la haïr autant qu'elle se haïssait. Ce devint un jeu, un besoin. C'est ainsi qu'elle se créa une réputation nouvelle. C'est fou, mais plus Rosamund était cruelle, plus elle attirait les autres. C'est un aspect qu'elle et moi n'avons jamais compris.

À sa sortie du lycée, Rosamund n'avait rien. Bien sûr, elle avait décroché son diplôme, mais après ? Ce n'était qu'un morceau de papier sans la moindre valeur à ses yeux. Deviendrait-elle journaliste ? Ou avocate ? Psychologue ? Ou même actrice ? Je cite ici la plupart des rêves de ses camarades, auxquels elle ne s'accordait nullement. Les aspirations des autres lui étaient si communes … Quel manque de créativité ! Pour une fois dans leur vie, l'être humain ne pouvait-il pas s'élever au-dessus du rêve de son voisin ? Sans réellement savoir pourquoi, elle choisi la sculpture. Fine manipulatrice qui façonnait son monde à partir de rien, elle se révéla particulièrement douée dans cet art. Cela lui valu un long apprentissage, mais la jeune femme avait le don à l'état brut. Ses créations avaient des allures d'exorcisme. Elle mettait son âme dans ce qu'elle faisait, l'humanité dont elle se pensait dénuée. Pourquoi ne devrait-on pas la rendre inhumaine, comme elle semble tant l'être ? J'y répondrais en deux arguments . Premièrement, l'artiste est obligatoirement doté de sensibilité, si tel n'est pas le cas son art ne mérite pas d'être contemplé . Deuxièmement,si Rosamund n'était pas dotée d'une âme, il n'y aurait pas la moindre de ses craintes dans son art, ni même sa peine ou sa douleur. Rosamund est une artiste, ne réalisant pas encore le projet du chef-d’œuvre que pourrait être sa vie.