On s’était dit rendez vous dans 10 ans, même jour, même heure, même peur.
Je voudrais pouvoir rêver comme un enfant. Pouvoir dire que j’attends encore tout de la vie, que la solitude ne sera qu’un vieux fantôme à peine effleuré. Je voudrais encore croire à tous ces boniments, me réveiller un matin avec cette certitude, que l’amitié me sauvera, et qu’avec eux, je renaîtrais une nouvelle fois de mes cendres.
Il fait nuit noir. Le vent s’écrase sur les landes rocailleuses d’Ecosse. L’herbe se courbe violemment et tout semble désert, ou presque. Au milieu d’une nuit sans étoile, une lumière brille à travers de vieilles planches assemblées maladroitement. A l’intérieur un groupe d’enfants se serre pour lutter contre le froid. Ils ont à peine dix ans. Ils ont bravé la météo, se sont soustraits à l’autorité parentale, dans l’unique but de retrouver un peu de magie autour de la vieille lanterne à la lumière vacillante volée chez l’oncle Joe. Les bonbons, gâteaux, et jus dérobés avec succès dans le placard de leurs parents feront leur festin. Leurs histoires d’horreur et leurs jeux enfantins les tiendront éveillé presque toute la nuit. A Roseneath c’est un rituel. Personne n’ignore ce qui se passe une fois que la lune a bordé le soleil. Personne n’ignore les enfants sortant en douce pour aller retrouver leur compagnon de fortune. Dans une aussi petite ville, personne n’ignore, mais tout le monde laisse faire. Car c’est au creux de la nuit que les secrets sont dévoilés, que les promesses raisonnent avec un goût d’infini dans les coeurs de ces enfants. Ils n’ont nul besoin de grande richesse, ni de jeux de plus en plus inventifs et compliqués, encore moins de grands centres commerciaux, ou d’immenses musées dans lesquels ils pourraient se perdre et s’ennuyer. Ils se sont trouvés eux, et c’est tout ce qui importe.
A plusieurs étendues champêtre de là, dans un petit cottage, tout transpire la quiétude de doux rêve. Pourtant une échelle rode appuyée contre une fenêtre. Derrière ses vitres protectrices s’échappe des murmures étouffés. Allongé dans une cabane de draps et d’oreillers un groupe d’enfant gribouille sur des feuilles de papier à la lumière d’une lampe torche. Ils s’arrêtent régulièrement pour se regarder avec des sourires mutins. Ils en sont sûr leur plan sera parfait. On ne pouvait pas s’en prendre à l’un des leurs sans s’attendre à voir débarquer la cavalerie sortie de l’ombre. Si la famille est sacrée, l’amitié a ici un goût de serment inviolable. A la vie, à la mort, pour le meilleur et pour le pire, nous voici mariés pour l’éternité. C’est ce qu’ils se disaient.
Là où les mats transpercent le ciel menaçant, l’eau fait tanguer le navire amarré pour qu’un groupe de marioles s’amusent dans des hamacs. Plus personne n’ose s’approcher du bateau depuis qu’il a pris des allures de repère des garçons perdus sous la coupe de Peter Pan. A l’extérieur, un vieux réveil rouillé sonne toutes les heures comme on sonne le glas. A l’intérieur, tout le monde s’active comme une famille fonctionnelle, et rêvée. Les filles se tressent les cheveux en racontant à la bande toutes les actions du jour. Les garçons prévoient les grandes batailles, et toute la joyeuse bande rigole alors que le chocolat chaud déborde sur la vieille gazinière à peine en état de marche. Ils ne tarderont probablement pas à s’endormir, car le soleil commence à pointer le bout de son nez.
Ailleurs dans Roseneath, d’autres enfants se retrouvent, que ça soit au fond d’un jardin, à l’abris dans les arbres, ou même au beau milieu des roches. L’invention n’a pas de limite lorsqu’on n’a pas vingt ans. Aujourd’hui sera un autre jour. Et quand le soleil frappera le coup de midi ils se réveilleront tous, les mains dans les mains, emmitouflés dans des couvertures, dans leur cachette de fortune. Ils retourneront en silence dans leur famille pour le déjeuner, le coeur léger. La tête pleine de souvenirs et d’aventures à venir. Pleine de la certitude que leur rêve n’aura jamais de fin.
J’aurais voulu pouvoir encore rêver comme lorsque j’étais enfant. Si Roseneath n’a pas changé. Si les enfants continuent à se retrouver à l’heure où les chats dorment et où les souris dansent, nous avons grandis. Nous nous sommes éparpillés. Nos promesses d’éternités se sont parfois éteintes dans des divorces violents. Nous avons perdus certains de nos piliers, nous avons abandonné nos repères. Nos secrets on peut être fini par nous ronger finalement. A moins que tout ne soit pas encore fini. On ne devrait pas pouvoir se retourner sur sa vie et se dire qu’on a probablement déjà vécu l’essentiel. A Roseneath on vit et on meurt avec une certitude. Celle que l’amitié nous sauvera. Je veux me réveiller avec cette certitude qui me hurle dans les tympans que l’amitié me sauvera, et qu’avec eux, je renaîtrais encore une fois de mes cendres. Mais la route sera longue.